Notre patron, l’inamovible Pierre-Henri Sapert-Bocoup, se lamente de plus en plus. Non pas, pour une fois, à cause du système d’information qu’il ne trouve pas assez à son goût. Mais parce qu’il a eu le malheur de placer ses quelques (!) économies au Luxembourg, dans un établissement qui lui a garanti une rémunération record et régulière de près de 10 % par an.
Et il est arrivé ce qui devait arriver, selon l’adage que tout le monde connaît mais que personne n’applique : « Si c’est trop beau pour être vrai, c’est que c’est trop beau pour être vrai ! ». Il a tout perdu, ignorant que toutes ses économies avaient été placées chez un admirateur de l’honorable Bernard Madoff. Notre bien-aimé PDG a donc fait une croix, selon les mauvaises langues, sur quelques centaines de milliers d’euros. Passons sur ce que nous aurions pu réaliser, à la DSI, avec une somme pareille. Non pas un nouveau système ERP (c’est juste le prix d’un bout de licence…) mais au moins un petit ravalement de quelques applications vieillissantes. Toujours est-il que l’ambiance, au comité de direction est plombée. Plus personne n’ose parler d’argent, sujet qui fâche, alors que c’est le moment de revoir notre politique d’investissements. En ce qui me concerne, ce genre de désagréments m’indiffère…
Tant je suis le nez dans le guidon. Et si je me préoccupe de mon portefeuille, c’est plutôt de celui des applicatifs, que je dois optimiser. Moi qui avais plutôt tendance à sourire de l’imprudence et de la naïveté de notre patron, je ne ris plus. Depuis que le responsable grands comptes de notre SSII favorite Meyer-Sainou-Laimeyeur m’a appelé, un brin affolé :
– Nous allons avoir du retard sur les développements de l’application de gestion de trésorerie, bredouille-t-il.
– Un retard ?
– Heu… un certain retard.
Et il m’explique que, pour tenir les prix dont nous étions convenus (j’ai âprement négocié, on va s’gêner… c’est la crise !), il a sous-traité une partie de nos développements en Inde, à une SSII locale qui elle-même, pour tenir ses prix, a sous-traité à une autre.
– Le problème, c’est que le sous-traitant de notre sous-traitant est en difficulté.
– Le patron n’est quand même pas parti avec la caisse ?
J’espérais un peu détendre l’atmosphère en proférant une énormité.
– Heu… Si, en quelque sorte. Vos développements informatiques étaient confiés à notre SSII partenaire Ramenmoitâpar. Tous les informaticiens affectés au projet sont passés à la concurrence, il faut repartir de zéro. Personne ne sait où est la documentation, notre interlocuteur sur place a lui aussi quitté son poste.
Le commercial de Meyer-Sainou-Laimeyeur m’explique alors tous les malheurs qui se sont abattus : les développements n’avaient pas été suffisamment découpés en lots, les mécanismes contractuels de résiliation étaient insuffisants, aucune clause d’audit étendu n’était prévue et nos amis de Meyer-Sainou-Laimeyeur octroyaient à leurs sous-traitants indiens une totale autonomie pour réaliser les développements, se contentant d’une vague réunion téléphonique hebdomadaire entre un chef de projet français qui avait appris l’anglais par des cours du soir et un Indien qui traînait un accent du Bhubaneshwar, l’un des plus costauds à comprendre pour un occidental.
Je vois d’ici la tête de notre directeur financier quand je vais devoir lui expliquer que l’optimisation de la trésorerie qu’il a voulu développer spécifiquement, pour des raisons stratégiques et de confidentialité (et aussi parce qu’il est radin…), alors qu’existent sur le marché de nombreux progiciels d’excellente qualité, ne sera pas opérationnelle avant plusieurs mois.
Quant à la réaction de Sapert-Bocoup… Elle a été plutôt violente, surtout qu’il a bien fallu parler d’argent : le retard dans le développement de notre application d’optimisation de trésorerie baptisée PLM (Par ici La Monnaie), va nous coûter un maximum, même si nos amis de Meyer-Sainou-Laimeyeur vont contribuer, je vais m’y employer.
– Séhiaud, vous n’êtes qu’un incompétent ! Vous être laissé embarquer dans ce projet sans vérifier ne serait-ce qu’un minimum sur la santé financière des prestataires à qui vous confiez l’argent de nos actionnaires est une démarche insensée !
Curieusement, les budgets supplémentaires pour terminer l’application PLM m’ont été alloués sans difficultés. Il faut dire que j’avais rétorqué à notre patron un tonitruant « Vous avez du simili-Madoff, j’ai du Ramenmoitâpar, donc match nul ! » qui a laissé sans voix les autres membres du comité de direction.
Tant je suis le nez dans le guidon. Et si je me préoccupe de mon portefeuille, c’est plutôt de celui des applicatifs, que je dois optimiser. Moi qui avais plutôt tendance à sourire de l’imprudence et de la naïveté de notre patron, je ne ris plus. Depuis que le responsable grands comptes de notre ESN favorite Meyer-Sainou-Laimeyeur m’a appelé, un brin affolé :
– Nous allons avoir du retard sur les développements de l’application de gestion de trésorerie, bredouille-t-il.
– Un retard ?
– Heu… un certain retard.
Et il m’explique que, pour tenir les prix dont nous étions convenus (j’ai âprement négocié, on va s’gêner… c’est la crise !), il a sous-traité une partie de nos développements en Inde, à une SSII locale qui elle-même, pour tenir ses prix, a sous-traité à une autre.
– Le problème, c’est que le sous-traitant de notre sous-traitant est en difficulté.
– Le patron n’est quand même pas parti avec la caisse ?
J’espérais un peu détendre l’atmosphère en proférant une énormité.
– Heu… Si, en quelque sorte. Vos développements informatiques étaient confiés à Satyam. Tous les informaticiens affectés au projet sont passés à la concurrence, il faut repartir de zéro. Personne ne sait où est la documentation, notre interlocuteur sur place a lui aussi quitté son poste.
Le commercial de Meyer-Sainou-Laimeyeur m’explique alors tous les malheurs qui se sont abattus : les développements n’avaient pas été suffisamment découpés en lots, les mécanismes contractuels de résiliation étaient insuffisants, aucune clause d’audit étendu n’était prévue et nos amis de Meyer-Sainou- Laimeyeur octroyaient à leurs sous-traitants indiens une totale autonomie pour réaliser les développements, se contentant d’une vague réunion téléphonique hebdomadaire entre un chef de projet français qui avait appris l’anglais par des cours du soir et un Indien qui traînait un accent du Bhubaneshwar, l’un des plus costauds à comprendre pour un occidental.
Je vois d’ici la tête de notre directeur financier, Goldman-Birstern, quand je vais devoir lui expliquer que l’optimisation de la trésorerie qu’il a voulu développer spécifiquement, pour des raisons stratégiques et de confidentialité, alors qu’existent sur le marché de nombreux progiciels d’excellente qualité, ne sera pas opérationnelle avant plusieurs mois.
Quant à la réaction de Sapert-Bocoup… Elle a été plutôt violente, surtout qu’il a bien fallu parler d’argent : le retard dans le développement de notre application d’optimisation de trésorerie baptisée PLM (Par ici La Monnaie), va nous coûter un maximum, même si nos amis de Meyer-Sainou-Laimeyeur vont contribuer, je vais m’y employer.
– Séhiaud, vous n’êtes qu’un incompétent ! Vous être laissé embarquer dans ce projet sans vérifier ne serait-ce qu’un minimum sur la santé financière des prestataires à qui vous confiez l’argent de nos actionnaires est une démarche insensée !
Curieusement, les budgets supplémentaires pour terminer l’application PLM m’ont été alloués sans difficultés. Il faut dire que j’avais rétorqué à notre patron un tonitruant « Vous avez du Madoff, j’ai du Satyam, donc match nul ! » qui a laissé sans voix les autres membres du comité de direction.