Pas d’affichage ? Sabotage !

Historiquement chez Moudelab & Flouze Industries, l’affichage des communications syndicales n’était pas utilisé par le SOT. Henri Caumassiasse  a toujours privilégié l’échange d’homme à homme. Pour lui, une discussion est comme une entrée en mêlée :

– Tu te positionnes, tu rentres dans le débat et tu fais avancer tes idées en faisant plier les réticences de ton interlocuteur.

A l’extrême limite, il consent à diffuser quelques tracts et autres publications propres au SOT, mais le syndicalisme, pour Henri Caumassiasse, passe avant tout par le contact humain.

Successivement et sans concertation, le CON et la FUC, par l’intermédiaire de leurs représentants, ont suivi le mouvement. Nous avions donc oublié l’article L.412-8 du Code du travail offrant aux sections syndicales la possibilité d’utiliser des panneaux. Tout se passait bien, jusqu’à…

Un beau jour nous voyons débarquer Franck Haudeport. Chef d’équipe dans notre unité de La Flotte Sébon, mais souffrant d’une maladie hérédito-psycho-fégnanto-glandouilleuse, il bénéficie d’un régime de faveur dans les tâches qui lui sont allouées auxquelles il superpose un engagement syndical au sein de la FUC. Bref, il n’en fiche pas une de la journée et a donc du temps de libre pour tirer sur tout ce qui bouge, chassant en particulier la minute supplémentaire non rémunérée. Las de cette attitude à l’influence des plus négatives sur les salariés, Oscar Tilage, le directeur de l’usine, a fait des pieds et des mains auprès de Pierre-Henri Sapert-Bocoup pour faire muter l’énergumène au siège du groupe.

Le lendemain de son arrivée, c’est en vociférant contre l’absence de panneaux « une véritable atteinte aux droits syndicaux », éructe-t-il, qu’il entre dans mon bureau.

– C’est un scandale, marchaitise-t-il. Il est inadmissible que la FUC n’ai pas un emplacement réservé à l’affichage des communications syndicales.

– Il n’y a pas que nous, répondis-je. Le SOT et le CON n’utilisent pas non plus cette possibilité. Avec notre Intranet, tout passe par l’informatique, c’est plus pratique.

– Ce n’est pas une raison ! Il y a des camarades qui se sont battus pour obtenir ce droit. Vous devez l’utiliser. Enfin, pour les autres, on s’en fout, c’est le problème de leur centrale. Mais toi, Joseph, me dit-il en tendant vers moi un doigt dénonciateur, tu es notre représentant dans cette boîte, c’est à toi de le faire. En t’abstenant, tu fais une faute. Ton comportement est antisyndical.

La sanction tombe. Le discours est ferme. L’argumentation justifiée. N’en jetez plus votre honneur, j’avoue, je me confesse, je me repens, je génuflexionne ! En clair, le lendemain matin, je pars à la recherche des dits panneaux d’affichage syndicaux que je trouve, comme il se doit, dans un passage à haute fréquentation : le couloir d’accès à la cantine. Pour ma défense, je peux argumenter sur le squattage effectif par les circulaires patronales et les annonces du Comité d’entreprise. Et puis il n’y a pas que moi… Je n’insiste pas.

Ce midi-là, les salariés de Moudelab peuvent lire, en allant déjeuner, une sélection des meilleures communications du moment publiées par la FUC.

– Putaing con ! Y’a la FUC qui racole maintenant !

Henri Caumassiasse prend à témoin l’ensemble des personnes présentes dans le couloir, en se gaussant de mon initiative. Mais le ver est dans le fruit. Deux jours plus tard, le CON prend également possession de son panneau. Contre toute attente, le SOT, ne voulant pas être le dindon de la farce, décide quinze jours plus tard de s’y mettre également, non sans que leur cher délégué n’ait à nouveau manifesté à l’encontre du procédé.

– Je ne conteste pas l’utilité de l’affichage, mais vous avouerez qu’au niveau du fair play, y’aurait comme à redire, déclare-t-il à notre DRH, plagiant Audiard sans même en avoir conscience.

Il y a du bon à voir de nouvelles têtes, me dis-je après coup. Franck Haudeport, avec son syndicalisme pur et dur, m’a permis d’imposer la FUC comme l’initiateur d’une nouvelle approche syndicale chez Moudelab & Flouze. Enfin, je me le suis dis juste après. Car rapidement, j’ai eu le droit à d’autres manifestations de ce syndicalisme extrémiste.

– Dis-moi, j’ai noté que certains ouvriers de l’unité 2 ont fait dix minutes de rab hier soir. J’espère que cela leur sera payé en heures supplémentaires.

Ce genre de remarque, devinrent rapidement récurrentes faisant naître chez Moudelab le terreau de ce qui aurait pu devenir très rapidement un mini vent de révolte. Sentant la tempête poindre à l’horizon, la DRH propose une super promotion à Franck Haudeport : la supervision du déploiement d’un esprit corporate dans notre unité de fabrication nouvellement implantée sur le marché asiatique, à Kota Dloemcé, en Malaisie. Une promotion que j’encourage vivement malgré la méthode pour le moins expéditive utilisée par la direction.

Kamikaze, la direction ? Beaucoup l’ont pensé, mais les échos provenant d’Extrême-Orient ont vite contredit cette affirmation.

Franck Haudeport a bien essayé de convaincre les ouvriers locaux du bien fondé du syndicalisme fuckien à la sauce Haudeport, mais il s’est heurté à un mur.

« Dans un œuf, y’a du blanc et du jaune, eh ben quand on mélange, y reste plus que du jaune » disait Coluche. Cet adage est une réalité ! Il paraît que ce réfractaire invétéré à tout travail s’y est mis. Sans faire de zèle, bien évidemment, mais il y a là déjà un progrès.

Et, pour nous, loin des yeux… loin des yeux !