Super-DSI, ça existe, ça ?

Je ne sais pas si l’ampleur de vos tâches quotidiennes vous laisse le loisir de regarder des séries télévisées américaines, mais vous devriez…

Toutefois, je vous déconseille le visionnage à haute dose, sous peine de voir poindre dans votre cerveau les premiers symptômes d’une dépression qui, pour les plus atteints, vous conduira, par désespoir, à démissionner de votre poste de DSI.

Je vous suggère de vous intéresser tout particulièrement aux séries emblématiques que sont Les Experts, Person of Interest, Hawaï 5.0 ou NCIS. Elles ont toutes un point commun : dans chaque épisode, les personnages ont accès à un système d’information super-performant, et même plus : quasiment ubiquitaire ! Un système d’information dont tout le monde rêve, car on accède en temps réel à tout ce que l’on veut, même les informations les plus improbables, les plus privées et les plus « je-ne-sais-pas-pourquoi-on-a-gardé-ça-dans-nos-sauvegardes ».

Un petit chef policier, qui a jeté son dévolu sur un suspect, demande la copie de ses quittances de loyer depuis vingt ans, de son bulletin de notes de l’école primaire… Et hop… en moins d’une demi-seconde, le tout s’affiche sur un énorme écran qui coûte certainement le prix d’un mois de salaire des pauvres DSI français que nous sommes. Un enquêteur futé s’enquiert du contenu de l’ordonnance médicale d’un suspect, dont on se demande a priori où elle peut être rangée… Et hop… en un dixième de seconde, la copie en haute définition apparaît sur un écran encore plus grand que le précédent ! Un lieutenant, avant de dégainer son calibre, exige de visionner les images issues d’une caméra de surveillance pour identifier un méchant trafiquant… Et hop… voilà que les images défilent sur son smartphone, avec une qualité telle qu’il est possible de zoomer pour identifier une plaque d’immatriculation. Le tout en moins de deux secondes ! Des équipes sur le terrain veulent entrer en contact avec leur quartier général… Et hop… la liaison à haut débit est immédiatement établie dans leurs oreillettes.

Avec de telles performances, on ne peut qu’être admiratif vis-à-vis du DSI qui a la lourde tâche de faire fonctionner ce système d’information ultra-moderne, au service d’utilisateurs qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne passent pas pour être des tendres, ni d’un tempérament patient. Imagine-t-on qu’avant de lancer l’assaut contre des méchants preneurs d’otages, il faille rebooter un serveur, taper au moins trois mots de passe dont l’un aura été forcément oublié par un des membres de l’équipe, naviguer dans un menu super calorique (c’est-à-dire avec plus de dix fenêtres par écran), lancer une requête, sans oublier de cliquer sur « recherche avancée » et attendre que la réponse arrive ? En priant pour qu’il n’y ait pas de micro-coupure chez l’opérateur de télécoms… Cela dit, cela pourrait être une bonne opportunité pour placer des coupures pub, avec un message du style : « Ne zappez pas pendant l’envoi de la requête à la base de données, vous aurez le temps de visionner une bonne dizaine de spots de pub. »

On peut penser que les DSI qui sont derrière tout cet attirail high-tech du XXIIème siècle bénéficient d’un budget illimité. Ils ont bien de la chance par rapport à nous. Ils côtoient donc des DAF très compréhensifs et des directions générales qui leur laissent une totale autonomie pour acheter tout ce qu’ils veulent : quand on pense à ce que coûte, chez nous, le simple fait d’augmenter très légèrement le niveau d’un engagement de service avec un prestataire, on se dit que, chez les américains, ils n’ont pas de problèmes de budget.

Rassurons-nous : tout cela n’est que du cinéma, de la fiction, des délires de scénaristes en mal d’effets spéciaux, de producteurs qui ne veulent pas faire traîner en longueur leurs épisodes et de patrons de chaîne soucieux de ne pas laisser échapper leurs téléspectateurs avec des problèmes bassement matériels. C’est une habitude à Hollywood qui ne concerne pas que la technologie : avez-vous remarqué que les héros de série n’ont jamais de difficultés pour se garer, n’ont jamais besoin de menue monnaie pour alimenter les parcmètres et ne poireautent pas à la station-service ?

Heureusement que nos dirigeants sont bien conscients que ce qu’ils voient dans les séries télévisées américaines ne peut pas exister en 2015, sinon nous n’aurions pas fini de les avoir sur le dos. Et si, par malheur, l’un d’entre eux s’aventurait à exiger un système d’information digne des Experts, il ne restera qu’à lui rétorquer que, chez nous, nous sommes déjà parfaitement alignés sur nos séries télévisées. Ne sommes-nous pas fiers de Louis la Brocante (à qui on pourrait refourguer nos vieux serveurs…), Braquo (sur le racket des fournisseurs…), Engrenages (pour la gestion de projets foireux…), Joséphine Ange Gardien (quand on prie pour qu’aucune panne ne survienne le week-end…), Avocats et Associés (pour les audits de licence…), L’Instit (quand on apprend le métier aux consultants…) et Kamelott (pour ceux qui sont équipés d’un ERP…).

En attendant que l’esprit de Plus belle la vie vienne égayer notre dur quotidien !