3 : tous ceux qui sont passés dans mon bureau m’ont demandé ce que signifie ce chiffre affiché bien en évidence entre mon paperboard et le dernier diplôme de mon « Best innovation award » décerné par mon fournisseur favori, officiellement pour avoir beaucoup innové avec ses solutions, en réalité parce que nous avons largement contribué à ses résultats trimestriels.
Il est vrai que j’ai innové : je suis le seul dans tout le groupe Moudelab & Flouze Industries à avoir collé une feuille blanche avec un seul chiffre inscrit en gros et en couleur. J’ai tout entendu : « Le nombre de tes conquêtes dans la DSI ? » Ah ! les jaloux…
« Le nombre de mois de vacances généreusement accordés en vertu de notre convention collective ? » Mesquin…
« Le nombre de personnes de la DSI qui vont être virées dans l’année ? » Je n’y avais pas pensé, mais l’idée est à creuser…
« Le pourcentage de réduction du budget informatique ? » Oh ! S’il n’était réduit que de 3 %…
« Le quotient intellectuel de notre directeur marketing ? » Possible qu’il y ait une correspondance…
« Le nombre de projets en retard ? » Impossible…
Le chiffre affiché est trop bas par rapport à la réalité. Mais ceux qui ont fait cette dernière remarque n’étaient pas loin de trouver la réelle signification du chiffre affiché au mur.
En effet, je me suis inspiré du vénéré Charles Francis Richter, que tout le monde connaît comme le concepteur, en 1935, d’une célèbre échelle mesurant la magnitude d’un séisme. J’ai donc construit une échelle, dite Echelle de Séhiaud ® TM © (il n’y a pas de raison que mon nom ne passe pas à la postérité), qui s’applique à la stabilité de notre système d’information, en fonction du dernier incident observé. Comme celle de Richter, elle compte plusieurs degrés. Passons sur la magnitude inférieure à 3, celle des micro-tremblements de terre non détectables ou non ressentis. Pour nos projets, il s’agit juste de légers retards, quelques jours au plus, de comptes-rendus de réunions qui se perdent ou de bogues mineurs vite corrigés par mes équipes. Pour l’utilisateur, c’est effectivement indétectable. Entre 3 et 4, les tremblements de terre sont ressentis mais provoquent rarement des dégâts : un petit ralentissement dans les temps de réponse, une application qui plante pendant quelques minutes… Rien de bien sérieux. Entre 4 et 5, les tremblements d’objets sont perceptibles et il peut y avoir des dégâts importants. Typiquement, c’est le cas d’un plantage de plusieurs heures ou d’un bogue non résolu qui font trembler les applications et entraînent une légère panique chez nos utilisateurs, légitimement inquiets : « Vais-je pouvoir finir mon travail avant de partir en week-end ? »
Entre 5 et 6, on entre dans une zone dangereuse : « Dommages majeurs à des édifices mal conçus dans des zones restreintes et légers dommages aux édifices bien construits », nous explique Richter. Il est certain qu’une application mal conçue, mal documentée et insuffisamment maintenue va subir des dommages majeurs, jusqu’à la paralysie. Au-delà de 6, les dégâts sont inévitables et les degrés suivants traduisent la surface touchée. De quelques applications stratégiques à l’ensemble du système d’information… Reste à trouver l’épicentre, dont l’origine peut être variée : un prestataire de services défaillant, une rupture dans les alimentations en énergie, une attaque virale, des réseaux de télécommunications qui vacillent, une suite d’erreurs d’exploitation, une conception bâclée…
La vulnérabilité des systèmes d’information n’a jamais été aussi grande. Pour l’instant, le chiffre 3 affiché dans mon bureau montre que nous n’avons guère connu le mois dernier de problèmes impactant les utilisateurs, juste le lot quotidien de toutes les DSI. Si je dois afficher un chiffre supérieur à 4, il faudra trouver de solides explications pour notre direction générale ! Quant à un séisme de la magnitude 9, il se produit dans le monde en moyenne tous les vingt ans et dévaste des milliers de kilomètres carrés. Autant dire que le SI sera à genoux ! Je commence à m’inquiéter car cela fait bien plus de vingt ans que notre système d’information n’a pas connu de catastrophe majeure…
Image par Hatice EROL de Pixabay