Une pression, une !

– Mon cher, Séhiaud, pouvez-vous passer me voir ? Dès que possible…
Oh, que je n’aime pas ça ! D’abord parce que, en général, lorsque le PDG, Pierre-Henri Sapert-Bocoup, veut me rencontrer, il confie à son assistante la tâche de fixer un créneau horaire.

Il ne m’appelle directement qu’en cas de problème. La dernière fois, c’était quand son téléphone WhiteBerry (ne cherchez pas, c’est du matériel ouzbek contrefait, mais c’est pas cher) est tombé en panne. Ensuite, s’il me donne du « mon cher Séhiaud », c’est plutôt mauvais signe. Enfin, je ne m’y trompe pas : « Dès que possible » signifie « vous devriez déjà être là ».
Il suffira de voir sa tête lorsque je rentrerai dans son bureau… J’ai vu : c’est la tête des mauvais jours.
– Lisez cela, me dit-il.

J’imagine qu’il s’agit d’une lettre de démission qu’il me demande de valider avant de la signer puis de m’en aller voir si Pôle Emploi a un job pour moi. Mais non : je remarque d’emblée, sur la feuille qu’il me tend, l’en-tête d’une grande SSII avec qui nous travaillons depuis plusieurs mois sur l’implémentation de notre ERP. Je sais, ce projet n’est toujours pas bouclé, nous avons (un peu) dépassé les délais et les budgets. Je suppute que cette SSII se plaint auprès de mon patron pour des raisons futiles.

« Nous vous suggérons fortement de vous séparer de Monsieur Olivier Séhiaud qui ne nous semble pas correspondre à ce qu’une grande SSII comme la nôtre, leader sur le marché de l’implémentation de progiciels intégrés, attend en matière de professionnalisme de la part de ses clients. »

Ca commence bien. Je poursuis : « L’attitude de Monsieur Séhiaud nous semble contre-productive, du fait de ses exigences, de la pression qu’il porte sur nos équipes et des multiples reportings qu’il demande et de son immixtion permanente dans les affaires internes. Nous sommes prêts, de notre côté, à remplacer notre directeur de mission, dans une volonté d’apaisement. »
– Vous mettez la pression sur leurs équipes ? me demande Pïerre-Henri Sapert-Bocoup
– Absolument, c’est un excellent moyen de les motiver et d’en avoir pour notre argent.
– Vous exigez des tas de reportings aussi ?
– Bien sûr, le pilotage de ce type de projet impose une telle attitude.
– Et en plus, vous vous immiscer dans leurs affaires internes ?
– Oui, nous sommes obligés, les sous-traitants de cette SSII se sont plaints de ne pas être payés pour assurer la formation de nos équipes, alors que nous avions payé les factures depuis des mois ! Je dois m’assurer que nos prestataires affichent un maximum de transparence et pour celui-ci j’ai de gros doutes sur ses pratiques commerciales. Pierre-Henri Sapert-Bocoup me reprend la lettre, sans me proposer d’en faire une copie.
– Je vais aviser et prendre les mesures qui s’imposent.

Ouf ! J’ai encore au moins quelques heures de répit. Mais je crains le pire. Des DSI débarqués par des fournisseurs qui ont fait pression sur leurs directions générales, il en existe !

Notre PDG m’a transmis une copie de la lettre qu’il a envoyée au directeur général de notre SSII ex-favorite, Jean Veuenkor, surnommé, je l’ai appris par la suite, « Mister avenant », non pas pour sa bonhomie, mais pour la propension de ses équipes à dégainer des avenants aux contrats dès que l’on formule une demande.

Pour faire court, notre patron leur a répondu que leurs méthodes de voyous étaient inadmissibles, qu’ils ont tendance à oublier qu’ils sont au service du client et que, s’ils ne sont pas contents de mon attitude, ils aillent se faire voir dans d’autres appels d’offres. Curieusement, les équipes de notre prestataire sont devenues subitement plus productives et réactives. Mais je ne doute pas que la lettre de menaces reçue est prête à être envoyée à d’autres patrons. Pourquoi se gêner ? Pour ramener les DSI dans le rang, toutes les méthodes sont bonnes…