Unk Unk

Je vous vois venir : vous cherchez déjà ce que peut bien signifier ce titre bizarre ! En fait, c’est très sérieux et cela résulte de travaux des plus sérieux experts : l’expression « Unk Unk » signifie « Unknow Unknows » et caractérise des phénomènes qui ne peuvent être anticipés, ni même imaginés.

Bref, des calamités inexplicables, impossibles à prédire. Forcément, puisqu’on ne sait pas qu’elles peuvent exister ! En fait, je suis tombé par hasard sur un article sur ce thème publié en 2007 dans la MIT Sloan Management Review (à lire en suivant ce lien : lc.cx/sehiaud1). Les auteurs expliquent que c’est le dilemme de tout innovateur d’accepter de « ne pas savoir ce qu’il ne sait pas ». C’est aussi ce qui illustre la théorie du Cygne Noir qui décrit les événements aléatoires, hautement improbables, aux conséquences énormes, genre 11 septembre.

Bon, je vous l’accorde, c’est un peu compliqué à comprendre et, question philosophie, je n’y connais rien. Mais j’ai trouvé l’idée intéressante et on peut l’appliquer à notre métier : des phénomènes inexplicables peuvent donc parfaitement expliquer pourquoi les projets se plantent. N’hésitons pas à renouveler notre portefeuille d’explications plus ou moins farfelues du style « le budget était trop faible », « les délais étaient trop serrés », « mon équipe projet n’était pas au niveau » ou « mon prestataire m’a été imposé par le DAF ». Avec une justification comme « je ne savais pas que je ne savais pas », vous passerez pour un vrai manager, humble, modeste, cultivé, qui reconnaît qu’il a été dépassé par les événements sans le savoir. En principe, personne ne vous contredira. La même explication peut être servie en cas de défaillance d’un prestataire. « Je ne savais pas que je ne savais pas qu’il était si incompétent » vous dégagera de toute responsabilité. Pratique…

Les scientifiques ont aussi étudié les « Known Unknows », phénomènes connus, mais dont on ne sait pas quand ils vont se produire, ni avec quelles conséquences, et les « Known Knowns », phénomènes parfaitement connus dont on peut anticiper la survenance. On peut aussi appliquer ces concepts à notre vie quotidienne en entreprise. Voici quelques exemples de « Known Unknows » :

  • je sais que mon DAF est un puits de connerie, mais je ne sais pas jusqu’à quelle profondeur il a été creusé…
  • je sais que notre chef comptable est dépressif, tant au passif qu’à l’actif, à force de voir le budget de la DSI dégringoler, mais je ne sais pas combien de temps il se passera avant qu’il ne se jette par la fenêtre en signe de solidarité avec les équipes de la DSI…
  • je sais que dans mon équipe il y a, statistiquement, 10 % de collaborateurs pervers narcissiques névropathes à tendance destructrice (la forme la plus grave de maladie chez les informaticiens, d’après une étude du DINGUE, le Département d’INformations Garanties d’Utilité Eternelle), mais je ne sais pas qui va « péter les plombs » le premier, ni quand…

Je vous propose également quelques exemples de phénomènes « Known Knowns » :

  • c’est bien connu, et ça va arriver, dans les prochains mois, notre budget sera une nouvelle fois réduit par le DAF (oui, le même que plus haut, et qui, aux dernières nouvelles, creuse toujours son puits de conneries à défaut de combler celui des déficits !)…
  • c’est bien connu, et ça va arriver, nous aurons un audit de licences de la part de nos éditeurs ex-préférés (tiens, en représailles, on devrait nous aussi avoir le droit de les auditer pour savoir où passe notre argent : on s’apercevrait sûrement qu’il est affecté à la R&D, non pas la « Recherche & Développement », mais plutôt la « Récréation & Détente », autre signification du sigle R&D…).
  • c’est bien connu, et ça va arriver, notre prochain projet de transformation à base de plusieurs ERP grassouillets, avec des morceaux de CRM, des grumeaux de SIRH, des noyaux technologiques à s’y casser les dents et un bon saupoudrage de processus pas toujours très frais, va se planter…

Heureusement, tout repose sur le timing. Il se peut que j’échappe à toutes ces calamités. Ou pas… Si je me fais virer, je pourrais toujours me consoler en répétant à longueur de journée que « je ne savais pas que je ne savais pas » qu’un jour on aurait plus besoin de moi… Va savoir !