Valise diplomatique

Depuis que, nous, DSI, bataillons pour faire reconnaître notre fonction à sa juste valeur, pour être plus visibles auprès de tous les autres managers de l’entreprise et que nous cherchons à nous rendre populaires auprès des utilisateurs, il s’est créé un effet pervers : tout le monde veut se mêler du système d’information !

Certes, le plus souvent, cela part d’une bonne intention. « Tu devrais faire plutôt ça… », « Tu devrais regarder telle techno, je n’en ai entendu que du bien », « Il me semble que le problème serait plus vite résolu si… ». Nous connaissons depuis longtemps les récriminations faites à la DSI, aussi anciennes que la fonction, nous nous y sommes habitués. Mais je trouve que les « conseils d’amis » que l’on nous prodigue deviennent légions. À tel point que cela devient une réelle contrainte. D’autant que les catégories de « conseilleurs » s’élargissent.

Ainsi, le responsable qualité nous tanne pour respecter les normes ISO ; le responsable RSE (« Responsabilité sociétale et environnementale », pas « Reste Surtout à l’Écart ») nous enjoint de tenir compte des principes du développement durable dans tous les projets dont nous avons la responsabilité ; les auditeurs se chargent régulièrement de nous rappeler les règles très strictes de la comptabilité ;

les hérauts de la gouvernance Corporate ne manquent pas de nous ralentir avec des principes qui relèvent davantage de la politique que des bonnes pratiques ;

les commissaires aux comptes traquent chaque élément de notre budget pour y déceler une once de non-conformité à Sarbanes-Oxley, les deux célèbres duettistes américains qui ont mis le bazar dans toutes les grandes entreprises ;

les contrôleurs de gestion nous questionnent régulièrement sur la pertinence d’avoir mis en œuvre la méthode DEF (Dissimulation, Enfumage, Fabulation), qui complète bien utilement la méthode ABC (Activity-Based Costing) ;

les membres du comité de direction s’interrogent sur la valeur que nous générons ; la direction générale exige que nous allions plus vite…

La liste est longue et gérer toutes ces sollicitations ralentit notre productivité, l’essentiel de notre mission consiste à parler avec les métiers, le plus souvent possible, le mieux possible et de la manière la plus constructive possible… Sans que les messages, émis de part et d’autre, soient parasités par des tiers qui prennent leur boulot trop à cœur.

Comment faire ? Je me suis inspiré des pratiques en vigueur dans toutes les chancelleries du monde : la valise diplomatique. C’est un canal de communication qui s’avère bien pratique et que j’utilise avec les collaborateurs de la DSI qui sont envoyés en mission dans les directions métiers. Ne sont-ils pas les ambassadeurs de la DSI ?

J’ai mis en œuvre cette approche depuis six mois, avec des collaborateurs de confiance, et les résultats sont là : les quelques conflits que nous avions encore avec les métiers sont rapidement désamorcés. L’information me remonte rapidement par la « valise diplomatique », j’arbitre et l’information redescend par le même canal. Pas de réunion interminable, pas d’ordre du jour, pas de compte rendu, pas d’interlocuteurs parasites…

Aucun sujet n’est tabou, la communication entre la DSI et les métiers n’a jamais été aussi fluide ! Si, à chaque fois que l’on doit modifier un cahier des charges, on nous met dans les pattes les contrôleurs de gestion de la DAF (qui refuserons par principe), le responsable qualité (qui voudra « étudier le problème ») ou les gugusses de la gouvernance Corporate (qui diront « faut se réunir pour conjecturer sur les implications stratégiques ») ou le responsable de la RSE (qui vérifiera que nos comptes rendus sont imprimés sur du papier recyclable), on n’en finit pas !

Évidemment, je n’ai pas acheté de valise, même à roulettes ; je ne vais quand même pas arpenter les couloirs de l’entreprise avec, déjà que beaucoup estiment que je ne travaille pas assez, je suis bon pour les quolibets sur ma surconsommation de RTT ! En fait, nous utilisons une boîte mail spécifique, anonyme, avec des messages cryptés, ou des face-à-face, hors des locaux de l’entreprise. Mais, comme dans toute problématique diplomatique, je dois me méfier des agents doubles. Ceux qui seraient tentés sont prévenus : ils seront mutés à la salle machine avec service de nuit obligatoire…