Intelligence collective ? Faut voir…

À force de lire des ouvrages très sérieux sur le management, j’ai repéré un point commun : la plupart de leurs auteurs insistent sur la notion d’intelligence collective.

Capitalisation des connaissances par-ci, synergies humano-organisationnelles du travail en équipe par-là, agilité cognitive des communautés de pratiques par ailleurs… Interactions mutuelles en feedback interfacé par où vous voulez… Tout y passe ! Même notre nouvelle DRH, Roberta Lentan-Napa, s’est convertie à ce nouveau dogme du management moderne.

Dans l’un de ces ouvrages que j’ai lu, l’intelligence collective est définie de la façon suivante : « Capacité humaine de coopérer sur le plan intellectuel pour créer et innover. » Je vous avoue que ce n’est pas gagné, tant la barre est haute ! En effet, réussir à développer l’intelligence collective, il faut déjà des « capacités humaines ». Dans nos organisations, tout le monde n’a pas de telles capacités et je suppose que c’est pareil dans vos entreprises.

Il faut ensuite « coopérer ». Quand on voit les logiques « perso » de la plupart des individus, surtout des managers ou des directions générales, on peut légitimement douter de la réalité de la coopération. Pire, cette coopération s’effectue « sur le plan intellectuel » : c’est dire si, pour certains, une remise à niveau s’impose comme préalable, avant de s’engager dans une démarche d’intelligence collective. Enfin, l’intelligence collective sert à « créer et innover ». Autant dire que ça freine un maximum dans les équipes ! Simplement parce que « créer et innover » signifie des réunions interminables, attribuer des responsabilités à des irresponsables, expliquer en permanence pourquoi il faut changer…

Notre chère DRH a organisé, dans notre établissement de Vatexibé-sur-Seine, un séminaire sur cette grave question de l’intelligence collective, avec tous les managers du groupe. Depuis qu’elle a assisté à une formation chez Ces-Sales-Gosses, elle nous bassine avec cette idée d’intelligence collective. J’ai quand même écouté et pris des notes, vous connaissez mon professionnalisme dès qu’il s’agit de m’impliquer dans la culture d’entreprise… J’ai donc griffonné sur mon carnet de notes tous les mots-clés représentatifs de l’intelligence collective.

– Qu’avez-vous retenu de ce séminaire ? nous demanda notre DRH à l’issue d’une journée éprouvante.

Chaque manager présent a formulé quelques banalités, du genre « c’est l’avenir », « nous allons nous engager dans cette voie prometteuse », « innovons plus pour gagner plus »… Lorsque mon tour fut venu de répondre à cette excellente question, j’ai juste précisé que j’avais identifié un bien curieux paradoxe.

– Ne trouvez-vous pas curieux, précisai-je, que plus on parle d’intelligence collective, plus on emploie de mots qui commencent par « con » ? :

Et de les rappeler, pour ceux à qui ils avaient échappés : confiance (dans la direction générale), compréhension (des enjeux), connexion (des individus), complétude (des actions), compétences (des équipes), complémentarité (des personnalités), concept (innovant), concret (pour éviter les théories vaseuses), connaissance (du métier), conquête (du marché), continuité (dans la stratégie), contribution (de chacun), conviction (que ça va marcher…), convergence (des opinions)…

D’où la formulation du paradoxe que j’ai baptisé, parce que je suis modeste, le paradoxe de Séhiaud (je suis un lointain descendant de Pythagore…) : « Le carré de la longueur de l’intelligence collective est égal à la somme des carrés de l’intelligence des participants des deux autres côtés de l’échelle hiérarchique, du moins s’ils ne sont pas trop cons au départ. »

Le silence qui s’installa m’a indiqué que ce n’était pas vraiment une réponse opportune. Et je ne peux décemment pas traiter mes collègues de cons… puisque c’est un signe d’intelligence collective !