Il n’y a pas encore si longtemps, lorsque, dans un dîner en ville, on me demandait mon métier et que je répondais « Directeur des Systèmes d’Information » (en insistant bien sur le premier mot), cela suscitait, au mieux un élan unanime d’admiration, au pire quelques mimiques laissant penser que, quand même, c’est un job intéressant.
Mais ça, c’était avant. « Avant le drame… », comme aime à dire Franck Dubosc. Car, depuis, nous avons de la concurrence, avec les Chief Digital Officers. Faites désormais l’expérience, si vous avez la chance (ou la malchance, c’est selon) de vous retrouver à table avec un CDO. Les réactions des autres convives ont bien changé : le job de DSI est devenu subitement ringard, face aux belles promesses du digital dont tout le monde parle. Donc, celui, ou celle, qui l’incarne, fait l’objet de beaucoup plus d’admiration que nous autres, pov’DSI. Ainsi qu’aurait pu le dire Fernand Reynaud, « DSI, ça eut payé… »
Comme il n’est pas question de se laisser distancer par les CDO sur l’échelle de la méritocratie technologique, j’ai décidé d’aller me positionner sur leur terrain de prédilection. Parce que j’adore que, dans les dîners en ville, les autres convives me jettent des fleurs… Que voulez-vous, à mon âge, on ne se refait pas : ce que l’on n’obtient pas dans notre entreprise (où l’on prend des coups tous les jours…), on doit bien le chercher ailleurs…
Mais, pour se hisser au rang de roi du digital, encore faut-il avoir un discours adapté. Si possible qui sonne juste, même si, en réalité, rien n’est vrai, ou, en tous cas, pas totalement véridique. J’ai testé quelques trucs qui, je vous l’assure, fonctionnent assez bien pour rabattre le caquet de certains CDO dont on ne sait pas d’où ils sortent, ni en quoi leurs expériences passées ont créé de la valeur. Sans parler des pires : ceux que l’on a nommé CDO pour leur offrir un placard doré et éviter qu’ils ne créent la zizanie avec leurs ex-collègues, qui, à force de lobbying auprès de leur DG ou de leur DRH, ont réussi à les propulser sur orbite dans la galaxie du digital, sans grand espoir de redescendre sur terre. En attendant, on doit se les coltiner dans les dîners en ville…
Il faut d’abord soigner son look, le style geek sur le retour n’est pas du tout indiqué pour passer pour un expert du digital. Ni le style « costume gris-cravate », qui ne dénote pas franchement une ouverture d’esprit et une convivialité à toute épreuve. Une fois ce détail vestimentaire réglé, il reste à adapter son vocabulaire. Etablissez une liste de dix expressions dont vous devrez vous obliger à placer au moins la moitié dans une conversation. Vous verrez, ce n’est pas si difficile de dire « business modèles », « intelligence artificielle », « expérience client », « disruption », « transformation », « désintermédiation », « innovation », « écosystème » ou « plateforme ». Ça s’applique à tout…
Pour parfaire votre crédibilité, vous pourrez intégrer deux autres ingrédients, histoire d’en rajouter pour faire baver vos interlocuteurs. D’une part, expliquer que, compte tenu de l’aspect stratégique de votre « mission » d’expert digital, vous vous faites accompagner par un coach reconnu qui, bien sûr, prend soin de facturer très cher ses prestations. Vous serez inévitablement considéré comme l’un des meilleurs, puisque les coachs les plus reconnus vous transmettent leur savoir. Et ne répondez rien si l’on vous rétorque qu’on peut obtenir le même résultat en achetant un livre à 30 euros, ça serait vraiment mesquin…
Si la discussion s’engage sur ce terrain, affirmez haut et fort, d’autre part, que, vous aussi, vous préparez un ouvrage « de référence » sur la disruption de votre secteur d’activité (ou n’importe lequel, de toute façon tout le monde s’en fout…), parce que vous avez une vision et que c’est trop douloureux de la garder pour vous, votre esprit altruiste vous poussant à la partager « pour changer le monde, comme les créateurs de start-up de la Silicon Valley… » Si, avec ça, vous ne vous attirez pas des bravos d’admiration de la part de ceux qui se verraient bien à votre place…
Attention, toutefois : pour faire totalement illusion, il faut soigner son « Personal Branding » ; autrement dit occuper le terrain sur les réseaux sociaux. Rassurez-vous, ce n’est pas trop fatigant : il vous suffit de retweeter tout ce qui vous tombe sous la main. En moins de deux mois, vous devriez intégrer le Top 50 des experts les plus influents.
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