Depuis que j’ai lu le « Traité de pédagogie dynamico-active à l’usage des enseignants mal comprenants », écrit par le célèbre professeur Jacques Hady et publié aux éditions Nivuniconu (je vous en recommande chaudement la lecture), je suis convaincu qu’il me faut réinventer mes méthodes d’enseignement. Place à la pédagogie alternative ! L’élève au centre et responsabilisé !
– Il paraît que les résultats scolaires s’améliorent dès que l’on sort des approches traditionnelles, m’a expliqué un jour un collègue.
Jusqu’à présent, j’applique le triptyque : « tu écoutes mon cours, tu fais tes exercices et je te note ». Comme tout le monde.
Le problème, surtout en physique-chimie, est de faire acquérir aux élèves un esprit de questionnement systématique, mais aussi d’argumentation, ainsi que la maîtrise de l’expérimentation. Dans la réalité, l’esprit de questionnement se résume à « C’est quoi le mot que vous avez écrit en haut à gauche du tableau, M’sieur ? » ou « C’est pour lundi ou mardi l’exercice qu’on a à faire ? » ou encore à « Pourquoi vous m’avez mis cinq alors que j’ai tout copié sur ma copine qui a eu onze ? »
L’argumentation, elle, se manifeste par des « Pourquoi t’es con ? Parce que t’es con ! », ou par « Il sort avec Annabelle simplement parce qu’elle est bonne ». Quant à l’esprit d’expéri-mentation, il se résume à inventer de nouveaux canulars, et à tester l’effet de nouvelles substances sur la chaise du prof. La moutarde a remplacé le Post-it surdosé en colle, le ketchup a pris la place de la craie. Je n’ai aucun doute sur leur inventivité : il ne manque plus que les matières radioactives et on aura eu la totale ! Les élèves maîtrisent aussi parfaitement les lois de la gravité : lorsqu’ils placent une chaise à trois pieds ou un bureau en équilibre sur l’estrade, ils savent très bien que tout corps qui s’assoira ou s’appuiera dessus sera inévitablement attiré vers le sol.
Pourtant, ils l’ont cet esprit de questionnement, dès qu’ils sont hors de la salle de classe. Il suffit de les écouter. Ils n’arrêtent pas de la journée, entre les « C’est quoi la marque de ton portable et de tes baskets ? » et les « Pourquoi la prof, elle a une tête de fouine ? » Côté argumentation, ils n’en manquent jamais pour expliquer pourquoi ils ont séché un cours. Quant à l’expérimentation, mes élèves sont à l’âge où on ne leur fait plus le coup des bébés dans les choux et les roses. Ils connaissent toutes les bases théoriques et sont fin prêts à passer à la phase d’expérimentation.
Un fonds de connaissances mal exploité : voilà un terreau privilégié
Pour l’expérimentation de mes nouveaux principes pédagogiques. Qu’ils expriment donc leur créativité ! Je suis persuadé qu’ils en auront besoin dans la vie active, plus que l’accumu-lation de connaissances encyclopédiques. La physique n’est-elle pas la satisfaction intellec-tuelle du raisonnement logique alliée à la satisfaction organique du concret ?
J’ai ainsi mis en place trois innovations majeures : d’abord, j’abandonne, temporai-rement, toute idée de leur faire cours pour privilégier les discussions ouvertes. « Que chacun s’exprime », leur annonçai-je. Ils ont été surpris par mon approche. Ensuite, j’ai remplacé les interrogations écrites sur le cours par des travaux personnels non encadrés, sur des sujets libres. Enfin, en matière de notation, je m’inspire des principes de l’évaluation à 360 degrés que les entreprises utilisent, le principe étant que tout le monde note tout le monde. Je ne suis plus seul juge, place à l’évaluation collaborative entre les élèves.
Hélas, au bout d’un mois de ce régime, les résultats de mon expérimentation pédagogique sont loin d’être probants. L’absentéisme progresse et, pour ceux qui sont restés, les « discussions ouvertes » dérivent d’emblée sur des questions n’ayant rien à voir avec la physique-chimie. On y parle de mode, de piratage de morceaux de musique, de chat sur Internet, de maquillage (pour les filles) et de foot (pour les garçons). Quant à la notation collaborative, inutile de dire qu’elle s’est traduite par de sévères règlements de comptes et d’opérations de copinage ou de chantage du style « tu sors avec moi et je te mets un quinze ».
C’est un échec, et alors ? J’ai au moins appris qu’on ne change pas les élèves d’un coup de baguette magique. Un lundi matin, alors que l’absentéisme a atteint des records, j’ai sifflé la fin de l’innovation pédagogique.
– Prenez une copie double, interro écrite surprise.