Comme le dit Georges Haideux-Tonpair, le fondateur de la Fédération Unitaire Con-fédérale : « pour bien défendre les autres, il faut bien se défendre soi-même ». J’ai fait mienne cette assertion, car nous, syndicalistes, devons bien nous occuper nous-mêmes de nos cas personnels… Sinon qui s’en chargerait ?
En cette période post négociations salariales, je regarde mon salaire et celui de mes camarades adhérents de la FUC. Le niveau de nos rémunérations s’avère d’une tristesse digne d’un dimanche après-midi pluvieux de novembre. Certes, ce n’est pas une révélation, plutôt le résultat d’une non politique de gestion du personnel syndiqué. Mais pas de tout le personnel syndiqué. Radio-couloir, la célèbre radio qui émet dans toute entreprise qui se respecte, colporte que les adhérents d’autres syndicats n’auraient pas trop de raison de se plaindre du traitement qui leur est accordé chez Moudelab & Flouze Industries. Je passerai rapidement sur le CON, qui, en bon syndicat de cadres, est de façon générale d’accord sur toute proposition émanant de la direction et je ne m’étendrai pas non plus sur les membres du SOT, qui bénéficient des bonnes grâces de la DRH, sans doute pour atténuer les pulsions vindicatives qui caractérisent Henri Caumassiasse, fort de sa représentativité majoritaire. Mais la ségrégation, puisque ségrégation il y a, est unilatérale et ne se produit qu’à l’encontre de la FUC et des fuckiens. Cette fois, s’en est trop ! Je décide de constituer un dossier solide à coup de bilan social, de rapport sur l’égalité hommes / femmes dans l’entreprise et de documents liés aux négociations annuelles obligatoires. En effet, l’article L.412-2 du Code du travail est formel : l’employeur ne peut prendre en considération l’appartenance à un syndicat pour bloquer, entre autres, la rémunération.
Toutefois, fidèle à l’assertion de notre cher Georges Haideux-Tonpair, je décide, dans un premier temps, de me consacrer à mon cas personnel… parce que l’on est jamais mieux servi que par soi-même. Et puis, c’est quand même celui que je connais le mieux. Etre syndicaliste n’empêche pas un peu d’égoïsme, non ?
– Voyez-vous, madame Plansoc, en mettant tous les salaires à nu, il ressort que je suis le cadre de mon niveau le plus mal payé de la maison. Et je vous fais grâce de mon ancienneté, sinon vous devrez reconnaître avec moi que je n’ai réellement pas de chance. Quoique, la chance a-t-elle quelque chose à voir là-dedans ?
– Monsieur Inebecker, il me semble que vous n’avez pas eu à vous plaindre de Moudelab. Je ne tiens pas à vous rappeler certains moments pénibles pour vous, mais, sans le Président, vous ne seriez certainement plus des nôtres aujourd’hui.
– Laissons-là le passé, voulez-vous. Il est révolu.
– Telle est bien mon intention. Sachez toutefois que notre politique salariale est établie pour récompenser les salariés les plus méritants et que…
Je m’engouffre à ce moment là dans la brèche, en argumentant sur la ségrégation latente qui pollue la politique salariale de Moudelab en affectant de façon unilatérale les fuckiens.
« Trouver les mots qui vont bien, les dire ou mieux les écrire, aide à faire assimiler les choses qui vont bien » a dit un jour, Henri Brindelle, l’actuel délégué général de la FUC. Fort de cette sentence, je plaide à fond, crie au scandale, en appelle aux saints protecteurs des syndicalistes, les Saint Dicat, bastonné sur la place des Grèves, Sainte Matraque, disciple de Jean d’Armes connue pour sa mobilité, Saint Pavé, canonisé en 1968 sous la plage.
Assaillie d’arguments, cernée par les vérités, acculée au bout de ses prérogatives bafouées, sentant proche, tel un pilote de Formule 1 en surrégime, la panne fatidique ou la sortie de route fatale, la DRH se précipite sur le seul échappatoire se présentant dans sa perspective :
– Ecoutez, je vais en parler au Président…
La plaidoirie a été bonne. Le mois suivant, j’ai le plaisir de voir évoluer mon salaire d’une façon, certes insuffisante, mais que reflète au moins un changement d’attitude des ressources humaines moudelabiennes envers la gente fuckienne. Surtout que Jean Bauche, le plus vieux collaborateur de la société, enregistre également une augmentation individuelle de 4 %, la première depuis quinze ans, ce qui ne manque pas de lui arracher une larme d’émotion, vite noyée dans une quelconque boisson anisée. Le mois suivant, les trois autres adhérents de la FUC bénéficient également d’une revalorisation.
Faire valoir ses droits, même si cela ne se fait pas, comme me l’a déclaré Françoise Plansoc, cela a quand même du bon.
A la fin du trimestre, mon fils de quatorze ans m’annonce, un soir :
– P’pa, il y a un mot de mon professeur de Physique Chimie, monsieur Gaspard Bonic, dans mon cahier de correspondance, me dit-il, les yeux fixés sur le bout de ses pantoufles.
– Tiens, tu n’as plus monsieur Alex Peyrians ?
– Non, il est parti en retraite et a été remplacé par ce nouveau qui vient d’un collège de Vatexibé-sur-Seine dans la banlieue de Paris, me précise-t-il.
« Monsieur, votre fils a essayé d’une manière habile et soutenue, de négocier à la hausse ses notes du dernier trimestre, faisant valoir ses droits d’ancienneté (n’est pas redoublant qui veut), pour une sur cotation systématique de trois points, l’amenant ainsi à la moyenne. Son argumentation reposait sur une affirmation selon laquelle faire valoir ses droits, même si cela ne se fait pas, cela peut quand même avoir du bon… »
Je me demande soudainement, si je ne devrais pas cesser de parler boulot le soir à table !