Il existe différentes méthodes pour appréhender ses responsabilités syndicales dans une entreprise. La direction le sait bien et analyse vite les différents intervenants dans les relations patronat/salariés. Ainsi chez Moudelab & Flouze, nous avons le CON (Cadres Organisation Nationale) qui dit toujours oui, très utile en principe à la DRH au quotidien, mais problématique dès qu’apparaît une question de fond. A l’opposé se situe le SOT qui, par tradition culturelle, dit toujours non, plutôt par habitude ou par réflexe conditionné. Pour la direction, une telle position extrémiste n’est pas facile à vivre. Toute proposition est systématiquement rejetée sous le couvert de la défense des droits acquis et de l’emploi. Un jour, Henri Caumassiasse a le culot de me lancer :
– Je réunis souvent les adhérents du SOT, car le progrès vient de la concertation.
Déconcertant, non ? Pour lui, il n’est pas d’action efficace sans mouvement de grève. Un débrayage peut faire l’affaire, mais la vérité vraie s’exprime dans le conflit.
Chez Moudelab & Flouze, la position de la FUC est souvent appréciée par la direction, car nous ne sommes pas réfractaires au changement à partir du moment où cela ne nuit pas à l’avancée sociale et aux intérêts des salariés.
La hiérarchie syndicale aux élections s’est donc mise en place chez Moudelab d’une manière des plus caricaturales avec une représentation à trois niveaux, les cadres, notamment supérieurs, avec le CON, les ouvriers et agents de maîtrises vindicatifs avec le SOT et le reste, cadres moyens, agents de maîtrise, plus modérés, pour la FUC.
Mais, dans quinze jours, tout peut changer, les élections des représentants du personnel sont programmées. Abstraction faite des abstentionnistes (traditionnellement un petit tiers du personnel, plus accentuée dans l’encadrement), le résultat semble, comme d’habitude, dépendre de la structure de l’organigramme nettement en faveur des emplois ouvriers. La lutte s’annonce à nouveau très chaude, mais, contrairement à la dernière fois, qui était pour moi une première, je ne suis plus novice en la matière.
Le lundi matin, j’entame ma campagne en distribuant des tracts décrivant notre programme d’action. Installé depuis un quart d’heure, distribuant de la main gauche, serrant les mains de l’autre, je ponctue avec un :
– N’oubliez pas le geste utile, le geste qui change. Votez et votez FUC ! Salariez unis, FUC pour tous !
Quand soudain, une voix de stentor avec un fort accent catalan se fait entendre :
– Votez ! Votez, c’est bien ! Votez SOT, c’est mieux ! Camarade, le SOT est le plus fort, le SOT te défendra. Ne te laisse pas perturber pas les vassaux du patronat ! Camarade, il n’est pas vrai que le SOT te ment ! Le SOT rassemble des salariés qui, comme toi, veulent la victoire de la masse laborieuse. Pour un meilleur avenir, participe à la victoire des SOT chez Moudelab !
Tel un pitbull auquel on vient d’arracher son os, Henri Caumassiasse passe ainsi une bonne demi-heure à vociférer. On ne peut d’ailleurs que rester admiratif devant cette capacité qu’il a à débiter des slogans comme d’autres récitent des fables de La Fontaine ou les tables de multiplication.
Pour ma part, malgré mes bonnes intentions initiales, je ne me sens pas l’âme d’un brillant orateur. Les débats conflictuels, de type campagne électorale, ne sont pas pour moi. Je me suis réorienté sur le poids des mots, en travaillant mes textes destinés à l’affichage et en organisant quelques réunions tout en évitant toute confrontation directe avec les membres du SOT en dehors des heures consacrées au travail. Je ne suis pas client pour les élections menées comme des actions commando, telles que les conçoivent les militants du SOT. Les affiches du CON et de la FUC ont été barbouillées, arrachées, recouvertes d’autres portant la mention :
« Avec un SOT vainqueur, Moudelab prendra de la hauteur ! »
Les Sotistes ont accentué, forts de leur nombre, leur présence au portail d’entrée de la société, à la sortie du restaurant d’entreprise. Un SOT en campagne ? Il fonce ! C’est Lance Amstrong chargé à l’EPO et lancé contre la montre, c’est Attila dévastant l’Empire d’Orient, bref il ne faut pas se mettre sur leur chemin.
Les résultats des élections n’ont pas été en rapport avec la campagne agressive du SOT. La FUC a augmenté sa représentativité. Seul le CON a payé sa position d’allégeance vis-à-vis de la direction et se trouve désormais représenté que par un seul délégué : Justin Kalkul, du service comptabilité. Le triomphe avorté du SOT, doublé d’un recul général au niveau national, est pour tous, le reflet de l’attitude jusqu’au-boutiste du syndicat. Pour tous, non ! Pour Henri Caumassiasse, il faut y voir plutôt la peur des salariés qui n’osent pas montrer au patronat leur façon de penser.
– Les résultats ne sont que le reflet de l’obscurantisme dans lequel les strates dirigeantes ont maintenu les classes laborieuses depuis de nombreuses années. Les salariés n’ont même pas pu exprimer leur désarroi, influencés qu’ils sont par cette cinquième colonne constituée de pseudo syndicats à la solde du patronat ! éructe-t-il après avoir pris connaissance des résultats.
Ce type de discours m’amène à m’interroger sur le bien fondé d’un certain militantisme. Ces réactions radicales n’amènent pas à l’union qui peut consolider la force d’un mouvement. Coluche a dit : « c’est pas parce qu’on est syndiqué, qu’on est obligé d’être con », au SOT, si !
Après sa diatribe, tendance marxo-léniniste à obédience anarchiste, Henri Caumassiasse sort de l’immeuble, se rend sur le parking et monte dans sa voiture, une DAF 44 break de 1971 rouge vif. Qui refuse de servir son maître et de démarrer.
– Hé, Henri ! Ta DAF n’a pas supporté que tu ailles négocier les augmentations de salaires avec un autre DAF, lui lance le vigile qui manque de s’étrangler de rire.
Si la mécanique s’en mêle ! Il y a des jours comme ça…