J’peux pas… j’ai syndicat

Exercer un quelconque mandat au sein de son entreprise est une tâche des plus enrichissantes… Mais il faut se méfier du cumul des mandats qui peut rapidement devenir une entrave à notre productivité. Les mésaventures de David Lafosse en est l’illustration caricaturale. Jeune informaticien, David, au bout de deux ans d’ancienneté, s’est fait élire en tant que délégué du personnel chez Moudelab. Un an plus tard, il rejoint la FUC et se retrouve élu aux élections suivantes en tant que délégué syndical. Il peut donc cumuler ses précieuses heures de délégation, soit 40 heures par mois, quasiment un tiers de la durée effective de son travail. Il a en toute légalité fait valoir ses droits à une décharge, ce qui s’est fait naturellement aux dépends de ses collègues qui ont dû se substituer à lui.

– On ne va pas embaucher quelqu’un au tiers temps. On va se débrouiller…

Telle a été la réaction de sa hiérarchie, occultant sans vergogne les nécessités du service et utilisant le sempiternel « on », bien connu à ce niveau où il cohabite avec le « yakafokon » et le « bien évidemment, j’en ai besoin pour hier soir ».

Rien de mieux, naturellement, pour créer une bonne ambiance dans une équipe, lorsque le délégué passe pour un tire-au-flanc de première.

La course en avant ne s’est pas achevée là. Six mois plus tard, un important projet de déménagement accapare les représentants du personnel et, en particulier, l’ami David qui doit demander davantage de temps de délégation pour s’acquitter le mieux possible de la communication entre la direction et les salariés. Une mission qui s’avère très rapidement chronophage.

– David, il y a un bogue qu’il faudrait solutionner rapidement dans une chaîne de production. Vous pouvez voir cela rapidement ? lui demande son manager, Bertrand Cheudekek, une peau de vache celui-là, m’a-t-on dit.

– Cela ne va pas être possible, je suis en délégation syndicale pour toute la fin de la semaine.

On peut se douter que le côté « j’peux pas, j’ai piscine » a un impact incommensurable sur un responsable hiérarchique. Cela n’a pas raté… Une demi-heure plus tard, c’est le directeur informatique en personne, Olivier Séhiaud, qui appelle David.

– Monsieur Lafosse, il y a un problème avec votre manager. Il me remonte que vous refusez les tâches qu’il vous alloue.

Le ton est froid. Le vouvoiement, peu de rigueur chez Moudelab, notamment dans le service informatique, souligne la tournure délétère de l’ambiance qui s’instaure entre David et ses responsables.

– Je suis désolé, mais comme je l’ai indiqué, en cette fin de semaine, je suis en délégation. Je m’occupe du déménagement en liaison avec la DRH. Vous m’excuserez, mais il me faut gérer les priorités.

Pour crédibiliser son argumentaire, il insiste sur l’implication de la DRH dans son emploi du temps. Irrité par la situation, le DSI raccroche en grommelant, que « la situation ne va pas durer longtemps comme cela et qu’il va « lui en gérer des priorités » ».   

La situation s’est effectivement rapidement transformée en guerre larvée avec sa hiérarchie qui lui a demandé instamment de réduire tout dépassement. Faute de quoi, elle sera contrainte de proposer sa mutation dans un autre service. A ce niveau, j’interviens dans cette histoire en tant que principal délégué syndical.

Je provoque une réunion entre la DRH, la hiérarchie de David, lui et moi. La DRH, interlocutrice privilégiée de Lafosse sur le dossier du déménagement, refuse expressément cette solution. Consciente de la situation délicate dans laquelle se trouvait la direction informatique, Françoise Plansoc propose d’adjoindre des ressources supplémentaires à la direction informatique. C’est la porte ouverte à la définition d’un nouveau poste, plus « opérationnel » et aménagé en fonction des disponibilités et obligations de David Lafosse. En clair, on lui crée un placard de toutes pièces, en le chargeant de suivre sur Internet, de manière discrète, lui a-t-il été soufflé, l’activité de nos partenaires et concurrents, pour alimenter en informations pertinentes le responsable de la veille commerciale de Moudelab, Sébastien Tevlatoi. Déjouant les pronostics pessimistes de son manager, David mène à bien cette tâche, devenant la référence en terme de recherche d’informations du groupe, tout en apportant une contribution sur le déménagement qui a été apprécié à sa juste valeur que ce soit par les salariés, la DRH et même Pierre-Henri Sapert-Bocoup.

– David, tu viens à la réunion de la cellule régionale de la FUC ?

Je pose la question par politesse, car les réunions trimestrielles de la cellule ne se manquent pas. C’est là, à la source, que nous sont communiquées les orientations décidées par la confédération de la FUC. Comme moi, en tant que délégué élu, David se doit d’assister à ces réunions.

– Je ne peux pas, j’ai un impératif : l’anniversaire de ma belle-mère.

Je le regarde,  interloqué.

– Tu plaisantes ? Ce soir, il y a Henri Brindelle, notre délégué départemental qui sera là. Il veut rencontrer personnellement tous les adhérents. Il ne va pas être content… Tu connais sa réputation !

– Oui ! Et bien toi, tu ne connais pas ma belle-mère. Si je ne viens pas elle va être en colère. Et ma femme aussi, tu penses ! Et ma femme en colère, c’est la tempête, le cyclone, un séisme, Verdun à côté, une promenade bucolique, Bagdad, un lieu de villégiature, le Tsunami une petite vaguelette dans une baignoire … Il me faut gérer les priorités !