Intersyndicale, ça cale

Si l’union fait la force, comme le dit le vieil adage, la force n’est pas prête d’être avec nous chez Moudelab & Flouze Industries.

Chose impensable il y a encore quelques mois, l’ensemble des organisations représentées dans l’entreprise semble avoir trouvé aujourd’hui un terrain d’entente pour créer une intersyndicale. Objectif : contrecarrer les nouvelles orientations patronales prônant une diminution des avantages sociaux acquis au cours des années, tant dans le cadre direct de l’entreprise que dans celui de notre branche d’activités. A l’initiative d’Henri Caumassiasse, nous nous retrouvons donc assis autour d’une table dans le but de rédiger un texte qui servira de plate-forme à la nouvelle intersyndicale moudelabienne. Le patronat et ses sbires (DAF, DRH, managers et petits chefs en tous genres) n’ont qu’à bien se tenir.

La force des salariés viendra de son union, nous a lancé Caumassiasse. Hélas, je constate une fois de plus que la force n’a jamais fait l’intelligence…

Les trois syndicats ont dépêché chacun deux représentants, les délégués s’étant fait accompagner chacun d’un camarade. Justin Kalkul est venu avec Erwan Nadout, le responsable du service Maîtrise Informatique et Réseau, syndiqué en raison d’un mécontentement salarial consécutif à sa récente promotion[1]. Le CON est historiquement un syndicat proche du patronat, avec une modération exacerbée dans ses revendications, de notoriété publique : aussi, sa présence est-elle une grande surprise.

Henri Caumassiasse est accompagné de Jade Larame, ex-secrétaire du CE, qui, devant la détérioration de ses conditions de travail (la direction s’étant enfin rendue compte qu’elle n’avait pas un travail chez Moudelab mais un emploi), a échangé aux dernières élections sa place de secrétaire du CE avec celle, plus protectrice, croit-elle, de déléguée syndicale. Le SOT était déjà reconnu pour ses positions extrémistes, avec comme orateur le rude Caumassiasse, façonné aux joutes d’hommes au cœur de mêlées rugbystiques. Sa position ne s’est pas améliorée avec l’arrivée d’une telle pasionaria.

Pour ma part, en l’absence pour congés de David Lafosse, j’ai demandé à Jean Bauche, ouvrier sur les chaînes de fabrication de m’assister. L’approche de la FUC est plus constructive sans être, pour autant, à la botte du patronat. Je, que dis-je, nous, adhérents de la FUC, restons fidèles au principe de notre fondateur, Georges Haideux-Tonpair : « il ne faut jamais oublier que tout délégué syndical est salarié de son entreprise ; la défense du respect du salarié ne doit pas occulter que le salarié a aussi des devoirs envers son employeur ». Etre constructif, pour le bien de tous, tel est notre mot d’ordre.

A dire vrai, l’intersyndicale n’a pas survécu à la rédaction d’un communiqué commun où devait être référencé l’ensemble des revendications contestataires.

Première revendication

Non à la suppression des jours de RTT qui affectent un acquis social !

– A ce sujet, et je me fais l’écho de cadres de l’entreprise, de nombreux projets n’aboutissent pas plus rapidement à cause des RTT. Ils ne doivent pas être un obstacle à la volonté de travailler, et nous ne pouvons nous associer à cette demande, souligne alors Justin Kalkul.

L’opinion du CON fait s’emporter le SOT.

– Oh ! Macarelle ! Mais l’autre fois tu étais pour[2], putaing con ! Tu n’es qu’un vendu à la botte d’Henron et de Sapert-Bocoup ! s’emporte Henri.

– Je ne défends qu’une vision personnelle, mais après concertation de la base, la majorité des adhérents du CON favorable à un aménagement des jours de RTT, répond Justin.

Seconde revendication 

Oui à l’emploi !

– C’est dans la production que sont les forces vives de Moudelab. Et s’il est impossible de trouver les moyens ailleurs, il faudra arbitrer en redéfinissant les priorités budgétaires, en réorientant certains investissements vers la production au détriment des postes sans valeur ajoutée directe, tempête Henri Caumassiasse.

Cette fois, le  CON rabroue le SOT.

– Et qui s’occupe de faire rentrer l’argent des clients si ce ne sont pas les collaborateurs qui occupent les postes sans valeur ajoutée ? demande Justin Kalkul.

– Sans notre travail, vous ne seriez pas là, bande de planqués, bureaucrates à la manque ! Développons la production pour que des sangsues comme vous puissent vivre aux dépends de notre labeur, lui répond Caumassiasse.

Troisième revendication

Oui à l’ouverture des chaînes de production le samedi, sur la base du volontariat !

– Il s’agit là d’ouvrir l’accès du service commandes à nos correspondants d’Asie chez qui le samedi n’est pas chômé. Il arrive à mes équipes d’entretien  ou à celles de la direction informatique, d’être d’astreintes le samedi. Nous aimerions clarifier cette situation…, commençai-je.

– Foutaise ! s’emporte une nouvelle fois Henri Caumassiasse. Nous ne pouvons accepter une remise en cause du sacro-saint congé hebdomadaire de fin de semaine. Si vous êtes assez cons pour bosser le week-end, c’est votre problème. Pour nous, macache ! Et puis, la coupe déborde. Viens Jade, nous n’avons rien à faire avec ses serviteurs du patronat.

Henri Caumassiasse se lève, rouge d’une colère auto-générée, à défaut d’être autogérée, et quitte la salle en claquant la porte suivie comme son ombre par Mademoiselle Larame, mettant ainsi fin à cette illusoire intersyndicale moudelabienne.

– Pourtant, il ne devrait pas être si difficile pour des hommes de bonne intelligence de trouver un terrain d’entente.

C’est par ses mots que je commence la réunion syndicale avec les quatre autres membres de la FUC. Pour une fois nous avons décidé de la tenir au restaurant. L’atmosphère est très détendue avant que ne survienne un conflit sur l’origine du vin que nous allons consommer. Conflit puéril, je l’entends bien, mais qui débouche sur une franche engueulade. A la fin du repas, je me demande si Alphonse Klarr n’avait pas raison en déclarant : « Les amis font toujours plaisir, si ce n’est pas quand ils arrivent, c’est quand ils partent ».

L’intersyndicale vinicole n’a pas eu plus de succès que l’intersyndicale moudelabienne.