Avant, et en tant que vieux DSI je m’y connais, tout était simple : lorsque que quelqu’un se présentait, on pouvait facilement identifier son métier. Face à ceux qui affirmaient : « Je suis directeur informatique », on pouvait imaginer son profil de poste et ses compétences.
De même, pour ceux qui exerçaient le métier de « responsable d’exploitation », d’ « administrateur de bases de données », de « responsable de la sécurité des systèmes d’information » ou, chez les fournisseurs, les fonctions de responsable commercial, d’expert en CRM ou de technicien support. C’était un peu plus difficile pour ceux qui se présentaient en tant que consultant, malgré tout on imaginait quand même le type de job.
Mais aujourd’hui, on s’y retrouve de moins en moins. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir les profils LinkedIn. Bien malin celui qui pourra identifier précisément le métier et, surtout, les compétences associées à la formulation imaginée par les utilisateurs. Des exemples (véridiques, bien sûr) ? Il y en a pléthore : on trouve ainsi des appellations telles que strategic digital leader, des helpers de growth companies, des advisors en stratégie, des affûteurs de technologies, des on-boarders de talents, des accompagnateurs d’entreprises grands comptes, des transformateurs du digital, des boosters de transformation, des directeurs de la monétisation digitale, sans oublier de multiples keynotes speakers et autres coachs en tout et en rien, dont on se demande comment ils gagnent leur vie et, surtout, l’état psychologique de ceux qui font appel à eux.
D’ailleurs, chaque année, LinkedIn publie la liste des dix mots clés qualifiés de « buzzword » pour désigner des métiers. Par exemple, dans la liste 2018 : experienced (évidemment…), expert (c’est bien le moins…), skilled (sans blague…), motivated (heureusement, surtout pour un chômeur), focused (donc borné…), passionate (comprendre flemmard…) ou animé d’un solide leadership (ben voyons…).
J’imagine la perplexité des bambins à qui, le jour de la rentrée des classes, on demande d’indiquer la profession des parents sur un formulaire :
– Il exerce quelle profession, ton papa ?
– Ben, il est motivated skilled leader pour booster la monétisation du digital stratégique…
Effet comique garanti et ambiance assurée jusqu’à la fin de l’année scolaire !
On connaît les Bullshit Jobs, popularisés dans le monde anglo-saxon par l’anthropologue David Graeber, pour désigner les emplois reposant sur des tâches inutiles ou qui n’ont aucun sens. On pourrait inventer les Ghost Jobs, ces emplois pour lesquels on ne peut identifier ce qui se cache derrière. Le pire étant ceux qui accolent plusieurs appellations pour décrire leur(s) métier(s), à croire qu’ils sont surhumains pour pouvoir exercer de telles fonctions à temps plein, à moins, bien sûr, que ce ne soit que du bluff ! Certes, on peut imaginer que, dans un univers de plus en numérique, avec des métiers qui n’existaient pas, il y a encore quelques années, il faille trouver des qualificatifs appropriés. Mais de là à en faire autant…
A quoi tous ces talents (forcément, sinon ils n’oseraient pas en rajouter sur leur profil LinkedIn) passent-ils donc leurs journées ? Pour un DSI, on sait ; pour un DRH, on s’en doute ; pour un directeur de la communication, on se demande, mais on a des indices ; pour un DAF on cherche encore, mais on pressent qu’il nage dans les chiffres… Mais pour un booster de monétisation de la transformation digitale ? Ça ne doit pas être très stressant comme boulot…
A voir le nombre de managers qui s’affublent de qualificatifs flatteurs pour se mettre en valeur, on peut se dire que ça marche. Peut-être est-il temps que je change ma carte de visite ? Au lieu de la classique dénomination actuelle « DSI », j’hésite entre « Expert motivé et passionné en leadership digital et transformation numérique » et « Talentueux manager du digital qui fait ce qu’il peut avec ce qu’il a »…
A moins que je ne transforme simplement le sigle DSI en « Décidé à Survivre Intelligemment ».