Quand les start-up touchent le fond

On m’a toujours vanté les qualités des créateurs de start-up : imagination, créativité, innovation, sens des réalités, persévérance, curiosité, méthode, capacité de travail, conscience professionnelle, volonté d’aller de l’avant… Si mes équipes avaient ne serait-ce que 10 % de toutes ces qualités, le visage de ma DSI s’en trouverait totalement transformé !

On m’a aussi beaucoup vanté les mérites, pour un DSI, de travailler avec des start-up, de manière à intégrer de nouvelles idées et applications dans notre système d’information qui a bien besoin d’une telle insémination.

J’avais déjà innové de mon côté en lançant le conathon (Cf. Best Practices n° 172), pour trouver les plus mauvaises idées à ne jamais mettre en œuvre. Avec succès d’ailleurs, puisque cela nous a évité d’aller dans le mur (« directly in the wall », comme diraient les start-uppers).

Comme je reçois de nombreux appels de start-up qui veulent me vendre leurs solutions toutes plus révolutionnaires les unes que les autres, j’ai décidé de laisser leur chance à certains. Mon choix s’est porté sur la société Federated & Unified Computing Knowledge (F.U.C.K.), qui propose une application de mobilité pour agréger de nombreux contenus, de manière à créer une base de connaissances accessible de partout, par tous les collaborateurs. Le produit n’est pas abouti, mais c’est, paraît-il, l’avantage des start-up d’adapter leur solution de manière collaborative en tenant compte de la réalité du terrain et des besoins de leurs futurs clients.

Le fondateur de F.U.C.K., un jeune trentenaire, est venu en personne me vanter les qualités de sa solution, m’expliquer qu’il a recruté une équipe de développeurs parmi les plus doués de leur génération, m’assurer que son produit est quasi stable, me glisser qu’il pourra faire un effort financier pour avoir Moudelab & Flouze Industries comme première référence client et me promettre qu’avec la levée de fonds en cours de plusieurs millions d’euros il pourra lancer une V2 encore plus révolutionnaire. « Avec cette application, nous allons changer le monde… Nous serons les précurseurs de la nouvelle économie de la connaissance ! », m’a-t-il affirmé.

Soit ! D’autant que l’interface de la solution était plutôt sympa et conviviale. Je lui ai donc demandé de mettre à notre disposition la solution. C’est à ce moment-là que tout est allé de travers. Dès que l’on a cherché à l’intégrer à notre système d’information, la solution souffrait de bugs majeurs. Lorsque j’en ai fait part à plusieurs reprises au créateur de F.U.C.K., il me faisait répondre par son assistante que sa levée de fonds l’occupait jour et nuit, que ses développeurs étaient surchargés de boulot pour faire des démonstrations de la solution aux futurs investisseurs intéressés et que « la correction des bugs n’étaient quand même pas un enjeu majeur à court terme, face à sa vocation inébranlable de changer le monde… »

Je me suis alors souvenu de la citation de la célèbre Madame Cloud, inventeure des gigabits facturés au temps passé : « Au lieu de lever des fonds, les start-up feraient mieux de lever des clients. »… J’aurais dû me méfier.

Je n’ai pas contrôlé la réalité des compétences de l’équipe de développement… J’aurais dû me méfier.

Je n’ai pas vérifié auprès des investisseurs leur degré de confiance dans le succès de la start-up qu’ils financent… J’aurais dû me méfier.

Je n’ai pas assez creusé la roadmap, pour identifier les points forts de la solution… J’aurais dû me méfier.

Je n’ai pas prêté attention au fait que la start-up ne dépose pas ses comptes au greffe du tribunal de commerce, comme elle en a l’obligation… J’aurais dû me méfier.

J’ai ignoré le fait que j’étais le seul client… J’aurais dû me méfier.

Comme l’affirmait Frédéric Lasnier, CEO de la SSII Pentalog et investisseur, dans un récent numéro de la newsletter Frenchweb : « La différence entre les capitaux-risqueurs et les start-up, c’est simplement le moment où ils commencent à mentir… » J’aurais dû me méfier…