Un intranet et c’est la fête

Il y a aujourd’hui trois mois, ce fut une grande première, dans le groupe et pour le droit des travailleurs à accéder à l’information syndicale. Nous avons en effet signé l’accord d’entreprise concernant la mise en place d’un intranet syndical. De haute lutte ! Pierre-Henri Sapert-Bocoup ne voit absolument pas l’intérêt que les actionnaires de l’entreprise financent des opérations qui aboutissent un jour ou l’autre à désapprouver la direction.

– On aura tout vu ! On se fait critiquer sur tous nos actes de gestion, la stratégie, notre organisation, et, en plus, c’est nous qui payons ! Comme si la victime d’une agression se trouvait obligée de fournir l’arme avec laquelle elle va se faire trucider ! N’importe quoi !

Pour la DRH, cela signifie du travail supplémentaire. Telle qu’on la connaît, elle va passer beaucoup de temps à vérifier que ce qui sera disponible sur l’intranet ne contrevient pas à la législation. Après tout, cela l’occupe et pendant ce temps, elle ne casse pas les pieds à ses collaborateurs qui ont de plus en plus de mal à supporter son arrogance. Olivier Séhiaud, directeur des systèmes d’information de son état, a, lui aussi, très mal pris l’initiative. Car c’est bien sûr à lui et à ses équipes qu’il incombe de mettre en place notre intranet syndical.

– Un projet de plus à gérer, et sans budget supplémentaire, vous voulez ma mort par karoshi ? m’a-t-il apostrophé dans le couloir (nous sommes au même étage). Depuis qu’il s’est plongé dans un ouvrage sur la dure condition des DSI japonais, il craint d’être victime du syndrome de « mort par surtravail » qui frappe les cadres nippons.

– C’est la loi, je n’y peux rien, il faut l’appliquer.

– Faites-moi un cahier des charges béton, parce que ça, c’est ma loi et il faut aussi l’appliquer. Et pas épais, le cahier ! Car vous n’aurez droit qu’au minimum… syndical !

Il s’éloigne en maugréant. Je crois entendre qu’il ajoute : « on a autre chose à faire que ces conneries… ». Je renonce à insister pour lui expliquer l’importance de la communication syndicale dans l’évolution du rapport de force entre les travailleurs et les patrons. Et qu’il est un travailleur comme les autres…

Parmi le comité de direction, seul le directeur financier n’a rien trouvé à redire. Il a fait le calcul suivant : le surcoût de l’utilisation du système informatique sera largement compensé par les économies de photocopies de documents syndicaux en tous genres. « Pour une fois que nos amis les bêtes (nous, en l’occurrence, c’est comme cela qu’il nous appelle en privé, pas pendant les réunions de CE, bien sûr…) participent à la noble tâche de dématérialisation et de réduction des coûts dans l’entreprise », explique-t-il.

Aujourd’hui, notre intranet syndical est en place. Avec un peu plus que le minimum syndical : grâce à un lobbying de nos militants au service informatique qui ont fait un effort, nous avons obtenu des forums, un espace de téléchargement, une messagerie instantanée et un espace de stockage qui nous ont semblé, à Henri Caumassiasse et à moi-même, suffisants. Car nous devons évidemment partager tout cela avec le SOT et le CON.

– Débrouillez-vous pour vous organiser, nous a conseillé Françoise Plansoc.

J’ai suggéré de partager l’espace de stockage en quatre parts égales : l’une pour chacun de nos syndicats (La FUC, le SOT et le CON) et la troisième pour stocker les documents communs, ratifiés par toutes les organisations syndicales. Le CON a approuvé ce principe d’équité et de bon sens.

– J’ai plus d’adhérents que toi, je veux plus de place sur l’intranet, c’est logique, non ? m’annonce Henri Caumassiasse.

La logique du SOT m’a toujours déconcerté. Henri Caumassiasse ne manque pas de culot ! Il a toujours refusé de me communiquer la liste exhaustive de ses adhérents, de peur de les voir passer à la FUC. Ridicule argument… Je le soupçonne d’ailleurs de gonfler les chiffres. Au SOT, ils ont tellement l’habitude de bidouiller les chiffres des participants aux manifestations ainsi que ceux de leurs adhérents au niveau national pour toucher davantage de subventions publiques…  Pourquoi pas dans l’entreprise ?

Je n’ai pas cédé sur ce point : pas question que le SOT dispose de davantage de moyens que la FUC. Henri Caumassiasse a fini par lâcher prise. Un peu trop vite ? Probablement, car avec le recul, j’ai compris sa stratégie. Afin de contraindre les salariés à consulter ses messages électroniques et à prendre ainsi connaissance de la digne pensée sotesque, le non moins digne représentant du SOT n’a rien trouvé de mieux que d’associer à ses e-mails des fichiers attachés. J’ai évidemment fait de même, avec des fichiers plus volumineux. A la FUC, nous mettons un point d’honneur à concocter des documents d’information en couleur, avec des schémas et des photos. « C’est nous qui avons les plus gros ! » ai-je expliqué à Caumassiasse, histoire d’attiser sa jalousie sur les moyens bureautiques de la confédération.

Ce petit jeu a quand même duré une quinzaine de jours. Avant que Olivier Séhiaud, le directeur informatique, ne déboule dans mon bureau, et dans celui de Caumassiasse, nous traitant de tous les noms !

Le système informatique venait de tomber complètement en panne pour cause de saturation de la messagerie interne. Histoire d’entretenir notre image auprès des salariés, j’ai trouvé intelligent d’envoyer à l’adresse mail « toutlemonde@moudelab-fi.com » les photos prises lors du dernier voyage organisé par le comité d’entreprise. Henri Caumassiasse a eu la même idée…