Un local pas banal

Il n’y a pas de bon syndicat sans local où l’on peut librement débattre entre camarades des problèmes liés à l’entreprise. Moudelab n’échappe pas à la règle et, suite à un accord avec la direction, chaque section dispose d’un bureau qui lui est propre, entièrement dédié à ces fonctions. J’ai bien veillé, à l’époque de mon adhésion à la FUC, jusque là non représenté dans l’entreprise, à obtenir ce local bien loin de celui affecté au SOT. Il est des voisinages qui peuvent rapidement dégénérer.

Un matin, de retour de trois jours de RTT, je croise David Lafosse qui me suggère une petite réunion le midi même pour étudier la participation de la FUC à la journée intersyndicale nationale de défense du lundi de Pentecôte chômé. Le sujet me semble effectivement d’une grande importance, j’abonde dans son sens et fait rapidement le rappel des troupes pour une réunion d’une demi-heure maximale, à 12 h 30 au local.

A l’heure dite, je retrouve David et trois autres personnes à m’attendre devant la porte. J’introduis ma clé dans la porte et… n’ouvrant pas celle-ci, je n’entre pas.

– Tu t’es encore trompé de clé ? Cela fait désordre pour un responsable des services généraux, me glisse David.

Je réitère ma tentative et toujours rien. De guerre lasse, tout en pestant contre ses saloperies de serrures aux rabais que la pingrerie du DAF me fait acheter, j’utilise donc le passe que j’ai toujours sur moi. Je pénètre enfin dans le local… vide.

– Eh bé, qu’est ce qui se passe ? Tu as fait un vide grenier pour renflouer les caisses ou quoi ? interroge Jean Bauche, surnommé P’Pa par ses collègues de la chaîne en raison de son âge. C’est le plus vieux salarié de Moudelab.

Je ne goûte pas son humour et réfléchis à toute vitesse. S’il y avait eu un quelconque changement de prévu j’aurai dû doublement être informé, en tant que délégué syndical et de responsable des services généraux.

– David… P’pa…

– Oui, répondent-ils en cœur.

– Vous restez dans le local, les autres, avec moi, on fonce chez la DRH.

C’est un petit détachement (petit mais remonté !) qui se précipite dans le bureau de Françoise Plansoc.

– Dites-moi, madame Plansoc, qu’est-ce que c’est que cette embrouille avec le local de la FUC !

– Justement, je voulais vous en parler, mais j’ai été prise en réunion toute la matinée. En raison du redéploiement de la direction informatique, et en tenant compte de problèmes imprévus avec la plate-forme asiatique, nécessitant l’intervention de consultants extérieurs, nous avons décidé, rapidement je le reconnais, de récupérer le local qui vous était attribué. Nous avons profité des déménageurs prévus dans le cadre de cette réorganisation pour transférer vos affaires dans un bureau adjacent à celui du SOT. Non loin également de celui du CON. Comme cela vous pourrez échanger plus facilement avec vos alter ego.

– Mais vous n’y pensez pas, m’emportai-je ! C’est inadmissible ! Le local syndical, c’est comme un confessionnal, on n’y rentre qu’après y avoir été invité. Vous avez violé un sanctuaire.

– En voilà des histoires pour un simple bureau de quelques mètres carrés ! De toute façon, il est trop tard. Cet après-midi, les prestataires externes s’installeront dans ce bureau, me répond sèchement Françoise Plansoc. Et puis, votre nouvel espace est plus grand de deux mètres carrés, mieux exposé et plus proche de vos petits camarades syndicalistes. Cela devrait vous plaire, non ?

– Et si je ne veux pas être proche de mes petits camarades, comme vous les appelez et que je me fous royalement du soleil et de quelques mètres carrés supplémentaires ! Je vous rappelle que selon l’article L 412-9 du code du travail, l’employeur se doit de mettre à disposition de chaque section syndicale un local convenable et que s’il est en droit de changer ce local, cela doit se faire en concertation. De plus, s’il s’introduit dans le dit local à l’insu de la section syndicale concernée, il commet une violation de domicile en application de l’article 432-8 du nouveau code pénal.

Je ne suis pas mécontent d’avoir passé des nuits et des nuits à potasser le droit du travail et les différents numéros de Liaisons Sociales. Je lui ai rabattu son caquet, à la mère Plansoc. Qu’elle les remballe ses deux mètres carrés ! D’ailleurs, elle a de la chance que ce soit tombé sur moi, car, avec son langage châtié, ce cher Caumassiasse lui aurait vite trouvé un endroit où se les carrer, ses mètres.

– La FUC a eu ce bureau suite à un accord passé entre votre serviteur et monsieur Sapert-Bocoup, et je ne vois aucune raison de remettre en cause cet accord, surtout dans le dos de la FUC. Donc, je vous laisse une heure pour rétablir la situation à l’identique. Dans ce cas, les choses en resteront là, sinon…

Deux minutes plus tard, la DRH est dans le bureau du Président. Il paraît que les murs ont tremblé et qu’elle en est ressortie rouge comme un drapeau du premier Mai. Il faut reconnaître toutefois que l’heure suivante a été des plus amusantes. Comme dans toute société entre 13 et 14 heures, on trouve plus de salariés à la cantine que dans les bureaux. Et si les couloirs entre les deux locaux se sont transformés en ruche, les abeilles ont été pour le moins surprenantes. Olivier Séhiaud, le DSI, s’est occupé de rebrancher l’ordinateur. Quelques cadres, dont Justin Kalkul, le délégué du CON, ont transporté les cartons de dossiers. Et c’est la DRH elle-même qui a raccroché l’ensemble des communiqués et affiches qui ornaient les murs. Dommage que je n’ai pas eu d’appareil photo à ma disposition… A 17 heures, je peux enfin tenir ma réunion.

Le soir même, assis devant un match de Ligue des Champions, je profite d’un arrêt de jeu pour me précipiter dans la cuisine pour chercher une bière. Ce jour-là, c’est mon anniversaire et ma femme a tout organisé pour me faire plaisir : la location du match en pay-per-view, quelques coussins confortables sur la canapé, un dîner aux chandelles et de la bière au frigo.

– Dehors, c’est mon bureau ici ! me lâche ma femme, les mains dans la farine, occupée à préparer mon dessert préféré.

« Article 432-8 du code de procédure conjugale, je sais, je sais… », marmonnai-je en refermant la porte.