Contrôles au radar

– Prenez une copie, interrogation écrite surprise !

C’est la phrase que nos élèves redoutent le plus que nous prononcions au début d’un cours. Surtout, on s’en doute, ceux qui n’ont pas revu leur cours comme nous le leur demandons régulièrement. Soit la majorité !

Ce jour-là, j’ai décidé de ne pas me fatiguer. J’ai passé une mauvaise nuit, en partie à corriger les copies du dernier contrôle de la troisième bleue. J’ai toujours en réserve, dans ma serviette, quelques sujets plus ou moins corsés pour tenir mes élèves en haleine. Au menu du jour : quatre exercices à faire en une heure, ce qui est largement suffisant, du moins pour ceux qui ont revu les parties de cours sur les atomes, l’électricité et les masses.

– Dans une classe, la distribution des notes suit une courbe en cloche, c’est mathématique, m’explique Pascale Culat-Tryce, qui adore les comparaisons avec la matière qu’elle enseigne.

Passionnée de probabilités, elle ajoute : « j’ai calculé que le nombre de chances de trouver toutes les notes en dessous de cinq est inférieur à 0,9 %. Quant à obtenir toutes les notes au-dessus de dix-huit, la probabilité est de 3 % ».

– Pourquoi cette différence ?

– Parce qu’on ne peut jamais exclure totalement que les élèves suivent tous nos conseils, apprennent leur cours et réussissent les exercices, répond-elle en riant. Mais avoue qu’à 3 %, on a encore de la marge. Cela ne se produit jamais. Tu les as déjà vus apprendre tout leur cours ? On en a toujours une bonne moitié qui trouve autre chose de mieux à faire.

C’est d’ailleurs très pratique pour nous car on peut justifier les différences de niveau : il n’y a rien de plus suspect qu’une classe dont les élèves ont toujours, et tous, de mauvaises notes ou, inversement, lorsque tous les élèves sont largement au-dessus de la moyenne. Nous entrons alors dans la ligne de mire des parents, des élèves, du chef d’établissement et de l’inspection. Les parents nous reprochent soit d’être une peau de vache limite tortionnaire de leurs pauvres chéris, soit d’un laxisme de mauvais aloi. Les élèves, eux, se demandent à quelle sauce ils vont être dévorés : quitte à avoir systématiquement de mauvaises notes, ils ne font plus rien ! Et si tout le monde a plus de dix-huit, ils ne font plus rien non plus ! Ne parlons pas du chef d’établissement, prompt à soupçonner quelques magouilles, crises aiguës de fainéantise congénitale de la part de l’enseignant (quand tout le monde se rapproche du zéro absolu) ou de béatitudo-crédulité inguérissable dont le symptôme principal se matérialise par la surestimation des capacités intellectuelles des élèves. Quant aux inspecteurs de l’Éducation nationale, ils sautent au plafond dès qu’une tête dépasse des statistiques du ministère.

Du 100 % cancres Pure Premium ou du 100 % surdoués garantis sans matières grasses, cela n’existe pas !

Sauf que, je les ai rencontrés. Pour l’interrogation surprise faite en classe, la distribution des notes s’est écartée des lois statistiques séculaires. Et même largement écartée. J’ai recompté plusieurs fois : rien à faire, j’ai obtenu 96,6667 % des notes au-dessus de dix-sept ! Vingt-neuf élèves sur trente… Même les cancres ont explosé leurs performances. Impossible qu’ils soient dopés. Il paraît, nous disent les études savantes, que les pétards et l’alcool commencent à faire des ravages en classe de troisième, mais tout de même ! Pas à ce point et le résultat tient davantage de l’endormissement que de l’excitation des deux hémisphères cérébraux et de leurs méninges.

– Record battu, hein ? me lance Héléna Beauléon, admirative, car, en histoire-géographie, elle est persuadée qu’elle n’atteindra jamais un tel score. Tu as bien tout vérifié ?

– J’ai revu toutes les copies, ils ont tous répondu correctement. Je suis obligé d’appliquer ma grille de notation. Résultat : la moyenne pour toutes les copies atteint 18,8. Du jamais vu !

– Pas d’antisèches ?

– Non, j’en suis sûr.

J’ai l’oeil et je connais toutes les techniques de triche. J’ai d’ailleurs une antisèche sur les techniques d’antisèches que je mets à jour régulièrement.

Je reste persuadé qu’aucun n’a triché pendant le contrôle. Ce que je n’ai pas vu, c’est qu’ils ont tous triché avant le contrôle : j’avais bêtement laissé traîner le texte de l’interrogation écrite dans le cahier de textes de classe.

Ils l’ont tous photocopié pour profiter de l’aubaine.