Par ici la rentrée

Nous sommes mardi. C’est le jour de la rentrée. Pour nous, comme pour les élèves, c’est la fin de la tranquillité après de longues semaines hors des murs des établissements scolaires. C’est reparti pour dix mois ! La veille, avant que les professeurs principaux aillent dans les classes expliquer aux élèves ce qui les attend et vérifier que tout le monde est présent, Josette Trouet, la directrice d’établissement, une ex-prof de français reconvertie dans le « management d’unités pédagogiques collaboratives », c’est ainsi qu’elle désigne un banal collège, nous a briefés. « J’attire votre attention sur… Je veillerai à ce que… Je souhaite que vous tous et toutes… Il importe que… »

– C’est une angoissée de naissance, elle nous fait le coup à chaque rentrée, me souffle Édouard Deycaud, le prof d’arts plastiques.

Tous mes collègues ont d’ailleurs cet air entendu. On peut parfaitement lire l’ennui sur leur visage, et même la consternation pour certains. Pascale Culat-Tryce, la prof de maths, lève toutes les deux secondes les yeux au ciel ; Rémi Solsideau, le prof de musique, a visiblement la tête dans ses partitions ; Valentin Bonjariv, le prof de sport, refait le match de foot de la veille ; Héléna Beauléon, la prof d’histoire-géo, écrit des petits mots à Jean Cerdan-Lengrenage, le prof de technologie. J’ai su plus tard que ces deux-là passent beaucoup de temps ensemble, probablement pour voir si Keynes et Einstein avaient une vision commune de la masse monétaire ; le prof de français, Victor Taugrafe, lui, semble attentif. C’est bien le seul ! Quant au prof d’anglais, Jean Siyoussoun (Anglais par son père, Berrichon par sa mère), il observe les uns et les autres, songeur.

– Et je vous souhaite bon courage pour demain, termine notre manageuse d’unités pédago-etc.

Ouf, elle a enfin conclu…

Ce matin du 5 septembre, je suis arrivé seulement cinq minutes avant que la cloche ne sonne. Avant que des centaines d’élèves excités ne se ruent dans leur classe. Un rail cassé sur la ligne St Lazare-Vatexibé/Seine m’a mis en retard. Josette Trouet est là, plantée devant le portail. Elle me jette un regard noir, sans dire un mot.

Heureusement, j’ai repéré les lieux. Madame la chef d’établissement ne manque jamais de faire la visite guidée, avant les vacances d’été, pour les petits nouveaux. Je ne retiens pas complètement le plan des locaux, l’établissement est un réel labyrinthe et la visite est un réel calvaire : durant près de deux heures, Josette Trouet insiste pour nous montrer les moindres recoins.

– Je veux que vous connaissiez l’établis-sement comme votre poche, comme cela vous y serez à l’aise, donc plus efficaces, répète-t-elle à plusieurs reprises.

D’accord, mais de là à nous indiquer les placards à balais et l’emplacement des réserves de papier toilette…

Tous mes élèves de la classe de troisième verte sont installés. J’allais écrire « sagement installés », mais il me semble percevoir une réelle excitation. Celle de la rentrée ? Celle de voir débarquer un nouveau professeur ? Celle de devoir ingurgiter des connaissances dans une matière, la physique-chimie, qui ne déchaîne généralement pas l’enthousiasme des foules d’ados ? Probablement les trois.

Je m’installe derrière le bureau, non sans avoir vérifié d’un coup d’oeil qu’il n’y a aucune substance sur la chaise : les punaises, le chewing-gum, la colle et la craie restent de vieilles techniques toujours en usage pour faire rigoler une classe à bon compte au détriment du prof, surtout s’il est nouveau et débutant.

J’attends quelques instants que le silence se fasse. Quelques ricanements, au fond de la salle, me font patienter quelques instants supplémen-taires.

– Bonjour, je suis votre nouveau professeur de physique-chimie. Mon nom est Gaspard Bonic.

Cette fois, je perçois nettement des rires et quelques chuchotements, qui deviennent de plus en plus nombreux. Si à chaque fois que j’ouvre la bouche, c’est la même chose, nous n’avons pas fini le programme !

– Excusez-moi, M’sieur !

On nous a appris à encourager la participation orale : à peine ai-je exprimé les grandes lignes du programme que déjà la curiosité s’éveille… C’est bon signe.

– Oui ?

Les ricanements se font plus bruyants.

– On nous avait dit que le prof de physique-chimie était une grande rousse super canon, lance un élève.

– … et avec des gros nichons ! chuchote un autre qui s’est placé au premier rang en prévision de la vue imprenable et probablement déçu de ne pas me voir en mini-jupe.

Cette fois ce ne sont plus quelques ricanements isolés mais un franc éclat de rire général.

– Vous n’êtes pas en troisième verte, M’sieur, mais en troisième bleue.

La vôtre, c’est l’étage en dessous, m’explique-t-on.